Par Anne-Marie Cardinal

 


 

L'équipe de direction de VITAM a rencontré trois de ses membres cliniciens-chercheurs afin de mettre en lumière leur implication dans la lutte contre la pandémie, au-delà de la recherche. La partie 1 de ce reportage souligne le travail du docteur Slim Haddad au sein de la Direction de santé publique du CIUSSS de la Capitale-Nationale.

 

Vigie et surveillance : l’art de réinventer les connaissances

Slim Haddad est chercheur régulier à VITAM et professeur titulaire au Département de médecine sociale et préventive de l'Université Laval. Il est aussi médecinconseil à la Direction de santé publique de la région de la Capitale-Nationale (Unité planification - Surveillance et évaluation), mais depuis l’été 2020 et jusqu’à tout récemment, il a occupé cette fonction à temps plein afin de soutenir les équipes dans la lutte contre la pandémie. Son parcours en médecine et en épidémiologie lui a permis de prêter main-forte pour toutes les activités de veille sanitaire et de surveillance, ce qui a d’ailleurs impliqué un grand nombre de recherches appliquées durant cette période.

Ces activités de surveillance et de recherche portaient notamment sur les éclosions dans les CHSLD, évaluant différentes composantes pouvant avoir un lien sur la rapidité et l’ampleur des éclosions : le contexte organisationnel, l’environnement bâti et le personnel de la santé y travaillant. Quelques études s’intéressaient également à la vaccination, l’efficacité de celle-ci, la couverture vaccinale dans les écoles, en plus d’un travail considérable sur les inégalités sociales de santé dans le contexte de la COVID-19. Plusieurs autres sujets ont été explorés : les délais d’attente avant la déclaration des cas incidents, le coût social de la pandémie, l’analyse spatiale des cas incidents et des cas actifs dans la région, etc.

Les résultats de ces recherches ont permis d’éclairer différents intervenants dans la prise de décision. Pour répondre à ces besoins rapides de connaissances dans le cadre de la COVID-19, il faut constamment se questionner et tout réinventer.

 

La cellule épidémiologique : une réalisation sans égal

La cellule épidémiologique qui a été mise sur pied au sein de la Direction de santé publique est composée d’une dizaine d’étudiants et étudiantes en épidémiologie, à la maîtrise ou au doctorat. Cette cellule était mandatée de faire ce que l’on appelle le traçage des cas, soit la reconstitution des chaînes de transmission. Il s’agit pratiquement d’un travail de détective effectué par une équipe dotée d’une expertise élevée et ayant une bonne compréhension des mécanismes épidémiologiques.

« D’avoir été capable d’embaucher 10 étudiants et étudiantes avec une expertise en épidémiologie, puis de les mettre à la disposition des équipes de santé publique dans un domaine où il y avait un très grand besoin d’expertise, c’est, selon moi, notre plus belle réalisation », a dévoilé le Dr Haddad.

La cellule est devenue un rouage clé des dispositifs de veille sanitaire.

 

Projets pilotes

Dr Haddad a été impliqué au sein de deux projets pilotes mis en œuvre au sein de la Direction de santé publique : l’implantation des tests de dépistage rapide et la surveillance des eaux usées.

Le projet pilote « Panbio » permettant l’utilisation de tests de dépistage rapide dans les milieux à risques tels les CHSLD, mais aussi dans les refuges pour les individus en situation d’itinérance ou les femmes victimes de violence conjugale avait pour objectif de monitorer la transmission potentielle du virus et ainsi prévenir les éclosions en déclenchant rapidement des mesures d’intervention en cas de besoin. Ce projet pilote a donc permis de peaufiner la mise en place de ce mécanisme et d’évaluer l’efficacité des tests de dépistage rapide.

Le deuxième projet pilote est le suivi du matériel viral dans les eaux usées. Ce projet a été mis en œuvre avec l’équipe du Dr Peter Vanrollghem du centre CentrEau et des collègues chercheurs des universités McGill et de Montréal. Il consiste à rechercher du matériel viral dans les eaux usées afin de détecter rapidement la présence de SARS-Cov-2, avant même que ne soient identifiées des personnes symptomatiques, et ainsi permettre la gestion précoce des éclosions. Un financement additionnel a été accordé du CIUSSS de la Capitale-Nationale afin de faire le suivi des eaux usées dans cinq CHSLD et refuges de la région.

La précieuse contribution du Dr Haddad combine d’abord celle d’un médecin de santé publique, dont l’expertise professionnelle était requise pour mettre en place des outils soutenant ces activités de surveillance et recherche, à laquelle s’ajoute la coordination d’un ensemble de recherches appliquées afin de produire rapidement des connaissances utiles pour la prise de décision.

 

Déstabilisant et… stimulant

Pour un chercheur et un médecin en santé publique, de faire face à cette crise qui est probablement la plus complexe qu’on ait connue depuis une centaine d’années est déstabilisant, mais à la fois stimulant. Il fallait apprendre à connaître le virus : d’où vient-il, comment se comporte-t-il, comment va-t-il évoluer, l’équipement de protection est-il suffisant, le masque est-il efficace? Sans vaccin, sans médicament, devant l’inconnu, le monde de la recherche était constamment en veille, en train de réévaluer les connaissances récemment acquises. Pour le Dr Haddad, la déstabilisation était permanente – et malgré la dimension tragique de la pandémie, la situation était exceptionnellement stimulante : son expertise et ses connaissances ont certes été utiles, mais elles ont également été remises en question face à autant d’imprévisibilité.

 

La recherche et la santé publique

Le Dr Haddad mène un projet de recherche intitulé COMPASS-Québec, dont le sujet porte sur la santé des adolescents et adolescentes. Des enquêtes sont réalisées chaque année dans plusieurs écoles secondaires du Québec. Dès le début de la pandémie, une dimension « COVID-19 » a été intégrée dans les questionnaires afin de recenser les comportements des jeunes dans ce contexte et leur attitude face aux mesures sanitaires. Puisque les écoles étaient fermées, une plateforme en ligne a dû être développée pour distribuer les enquêtes et recueillir les résultats. L’efficacité de l’équipe du Dr Haddad lui a permis de conjuguer ses engagements en tant que chercheur et en tant que conseiller au sein de la Direction de santé publique.

Lorsque nous avons demandé au Dr Haddad quel a été l’apport de son parcours en recherche sur sa contribution à la lutte contre la pandémie, il nous a répondu ceci :

« Ça désacralise. Ça démystifie ce qu’est la recherche aux yeux de plusieurs personnes. La recherche répond à des besoins d’informations permanents et elle est utile dans nos travaux de tous les jours. »

Il nous explique que l’on peut dans les milieux d’intervention réaliser de la bonne recherche, de la recherche rigoureuse, et ce, rapidement. La recherche répond à des besoins de connaissances concrets et permet de prendre des décisions cruciales, comme la confirmation de la nécessité d’embaucher une importante équipe d’enquêteurs et enquêteuses lorsque les analyses d’eaux usées ont révélé une hausse du matériel viral et donc, qu’une augmentation des cas est prévisible dans les jours suivants.

De plus, la pandémie a permis de rapprocher le milieu académique de la santé publique, en initiant des partenariats multidisciplinaires et en développant une forme de collaboration soutenue. Les liens du Dr Haddad avec le milieu universitaire lui ont permis de rassembler des experts et expertes de différentes disciplines tels que la géographie, la géomatique, le génie des eaux, l’aménagement du territoire et la pédiatrie pour soutenir les décisions de la Direction de santé publique.  

Actuellement, une certaine culture de la recherche et de la publication est en expansion et permet de démystifier ce monde encore inconnu au sein de la population. Le défi sera de pérenniser cette transformation, ce que le Dr Haddad cède sagement à la prochaine génération.  

 

Des équipes innovantes et engagées

La crise a également encouragé l’innovation et l’agilité dans les administrations, ce qui a eu un effet fort motivant sur les équipes de professionnels et professionnelles qui œuvraient à mettre en place de nouveaux outils, à instaurer de nouvelles routines et procédures, à exploiter de nouveaux systèmes de surveillance. Cette efficience opérationnelle a permis à la région de la Capitale-Nationale de mettre en œuvre un système sophistiqué et en temps réel de vigie et de surveillance, en plus de cultiver un grand enthousiasme au sein des équipes. Dr Haddad remercie et félicite d’ailleurs ces équipes qui ont été très innovatrices et qui ont accueilli les idées foisonnantes du chercheur.

Il n’est pas surprenant de constater que la fatigue et les longues journées comptent parmi les quelques sacrifices du Dr Haddad et de ses collègues dans le cadre de leurs engagements au sein de la Direction de santé publique, mais cela semble un bien petit coût à payer face aux résultats de leur contribution :

« Nous, les scientifiques impliqués en santé publique, avons un engagement social naturel : on ne fait pas de la santé publique pour rien, on le fait parce qu’on pense qu’on peut redonner à la collectivité. Tous les gens que je connais et qui se sont portés volontaires à la santé publique sont des gens qui ont donné du temps sans compter, mais les retombées et la satisfaction de nos réalisations excédaient très largement les petits sacrifices que cela a pu nous demander. »

 

Dr Haddad s’apprête à passer le flambeau aux jeunes excessivement motivés qu’il côtoie dans le cadre de ses différents mandats, mais ce que l’on retient de notre entretien avec lui, c’est que cette expérience incomparable termine très bien sa carrière.

 

Consultez la partie 2 : Entrevue avec la docteure France Légaré

Consultez la partie 3 : Entrevue avec le docteur Patrick Archambault

 

Restez à l'affût

D'autres actualités qui pourraient vous intéresser

  • Lancement d’un projet de recherche d’envergure sur l’expérience de travail du personnel infirmier au Québec

    Lire la suite
  • Le vieillissement en santé au cœur de notre mission

    Lire la suite
  • Immersion dans le laboratoire vivant Camelia à la Maison des aînés et alternative de Sainte-Foy

    Lire la suite

Ce site utilise des témoins (cookies) sur votre appareil. Nous utilisons ces informations afin d’améliorer et de personnaliser votre expérience de navigation. Les témoins seront activés seulement si vous acceptez.